Les écrivains en Isère - Itinérairaire d'un touriste
Alternative textuelle à la carte tirée de l'ouvrage "Mémoires d'un touriste" de Stendhal
Et si nous suivions les pas de Stendhal en empruntant son itinéraire à travers l'Isère...?
En 1838, il publie "Mémoires d'un touriste", le récit fictif du voyage à travers la France d'un représentant de commerce en objets de fer. Dans le tome 2 il sillonne largement le Dauphiné. Stendhal y dresse un tableau de l'Isère, avec ses qualités et ses défauts et décrit les paysages qu'il rencontre.
Retrouvez les sites sur lesquels il s'est attardé.
Allemond
"La mine d’argent que j’allais chercher à Allemont se trouve à une lieue et demie sur la gauche, avant d’arriver au Bourg d’Oysans ; il y a là une fort jolie maison bâtie aux frais du comte de Provence. Les montagnes de ce pays sont imposantes, et il y a des détails charmants. (N’est-ce pas là précisément ce que l’analyse fait découvrir dans cette fameuse beauté italienne dont on parle tant ?). Nous sommes au milieu des plus grandes Alpes, mais je suis trop fatigué pour décrire avec quelque justesse ; je tomberais dans les superlatifs. En revenant du Bourg d’Oysans, j’ai visité le haut fourneau de Riou-Pérou."
Allevard
"À Allevard on fabrique de la fonte avec du minerai tiré sur les lieux et du charbon de bois ; on ne fait ni fer ni acier ; le fermier paye 45.000 francs au propriétaire.
Cette fonte se vend à la marine, pour la fonderie de canons de Saint-Gervais, sur la rive gauche de l’Isère, un peu au-delà de Tullins (qui est sur la rive droite) ; cette fonte se vend à Rives pour faire de l’acier.
D’Allevard, en passant par le haut-fourneau de Pinsot, et s’avançant dans la direction du Bourg d’Oysans, on arrive au lieu célèbre nommé les Sept-Lacs. Ce sont en effet sept lacs bordés par des glaciers, et qui fournissent d’excellentes truites. Le plus grand de ces lacs peut avoir cinq cents toises de diamètre.
D’Allevard aux sept lacs, on prend un mulet ; il y a 4 quatre heures de marche, mais souvent il faut aller à pied. Je n’ai pas eu le courage d’entreprendre cette seconde course."
Le Bourg-d'Oisans
"Le terrain au bourg d’Oysans ne vaut rien et se vend horriblement cher. Les gens de ce pays se répandent dans toute la France, et vont jusqu’en Amérique ; partout ils font le métier de colporteur et le petit commerce."
Brié-et-Angonnes
"Pour trouver des sites charmants, délicieux et dignes des plus beaux paysages de la Lombardie, il fallait suivre la route au-dessus du vallon de Vaunavey et passer par Brié. C’est ce que j’ai fait aujourd’hui pour revenir à Grenoble. Cette route plaquée contre la base du grand pic de Taillefer, et qui suit les gorges formées par les montagnes qui lui servent de contreforts, est une des plus agréables que j’ai vues en ma vie. Dans le moyen âge, la Romanche passait par les bas fonds de Vaunavey où elle formait un lac, et allait se jeter dans l’Isère près de Gières."
Chartreuse
"La Chartreuse est située près du Guiers, dans une vallée fort élevée, au pied d’une montagne bien plus haute encore, qu’on appelle le Grand Som (Grand Sommet). Quel dommage de ne pas rencontrer dans cette position solitaire et vraiment sublime quelque beau bâtiment gothique ! Mais ici l’âme n’a pour être émue qu’elle-même, si elle est d’une nature élevée. Que peut éprouver ici l’âme d’un procureur ? Les âmes communes ont la beauté des arbres, l’aspect terrible et sombre de ces rochers, et par moments le souvenir des tableaux de Lesueur et de la piété sincère de saint Bruno."
Le narrateur décide d'effectuer une excursion au monastère de la Grande Chartreuse. Pendant cette sortie, une tempête se lève. Stendhal amoureux des paysages montagnards et des arbres, décrit cette scène avec force :
"Nous n’avons guère eu le temps d’examiner cette dernière chapelle ; un vent impétueux roulait de gros nuages noirs à une portée de pistolet de nous et nous craignions la pluie. Comme nous rentrions dans l’infirmerie, un coup de tonnerre épouvantable a fait retentir ces rochers nus et ces forêts de grands sapins. Jamais je n’entendis un tel bruit. Qu’on juge de l’effet sur les dames. Le vent a redoublé de fureur et lançait la pluie contre les fenêtres de l’infirmerie de façon à les enfoncer. Qu’allons-nous devenir si les vitres se cassent, disaient les dames ? Ce spectacle était sublime pour moi. On entendait les gémissements de quelques sapins de quatre-vingts pieds de haut que l’orage essayait de briser. Le paysage était éclairé par une lueur grise tout à fait extraordinaire : nos dames commençaient à avoir une peur réelle. La nuit qui approchait redoublait la tristesse du paysage. Les coups de tonnerre étaient de plus en plus magnifiques."
Corenc
"Je suis sorti de cette belle vallée de l’Isère par le petit chemin de Corenc ; il s’élève au milieu des vignes, le long de la montagne qui domine la vallée du côté du nord. Je ne pouvais me détacher de ce beau pays que je voyais pour la dernière fois : souvent je me suis arrêté. Après que l’on a perdu de vue l’Isère et le fond de la vallée, on se trouve comme vis-à-vis du fameux Taillefer et de toute la haute chaîne des Alpes. On aperçoit une foule de nouveaux pics ; ils semblent croître à mesure que l’on s’élève.
Je distinguais parfaitement, avec ma petite lorgnette d’opéra, les aiguilles de granit qui couronnent leurs sommets, et dont la pente est trop rapide pour que la neige puisse s’y arrêter ; elle s’amoncelle à leur pied. Après m’être arrêté longtemps, j’ai dit adieu à cette belle vallée de l’Isère."
Domène
"On en fait pas deux lieus de Grenoble vers Chambéry, sans trouver à droite, du côté de Domène, de charmantes petites gorges (c’est un mot du pays qui veut dire vallon étroit). Ces gorges sont peuplées de frênes fort élancés, de châtaigniers et de magnifiques noyers de quatre-vingt pieds de haut ; le noyer est l’arbre de la vallée de l’Isère."
Les Echelles
"Ce matin, je suis allé aux Echelles, assez joli bourg que je suppose enrichi autrefois par la contrebande. A peine arrivé on m’a raconté des moyens admirables de se moquer des gabelous (douaniers). Par exemple une auberge est établie à l’extrémité du village, c’est la dernière maison de la rue, elle a un vaste jardin qui touche au Guiers dont le cours marque la frontière. Vingt mulets passent cette petite rivière à gué et viennent décharger leurs ballots à la porte de la cuisine. Du côté de la rue les gabelous ne voient aucun mouvement. On soulève rapidement la plaque de fer qui garnit le fond de la cheminée de la cuisine, on jette à la hâte tous les ballots dans une sorte de cave qui est derrière la cheminée, on abaisse de nouveau la plaque de fer, on fait un feu énorme, et quand les douaniers arrivent, cinq minutes après les mulets, ils trouvent une société de paysans joyeux qui les invitent à boire.
En sortant des Echelles, la route arrive carrément au pied d’un grand banc de roches coupé à pic, qui a donné le nom au village. Il a plusieurs centaines de pieds de hauteur, se prolonge au loin à droite et à gauche ; et (primitivement) l’on employa des échelles (pour le passer).
Je me suis un peu détourné pour aller voir le pont Jauliou sur le Guiers ; c’est notre Guiers de la Grande Chartreuse et de Fourvoirie ; il s’est creusé un lit de quinze pieds de profondeur dans le banc de rochers ; c’est ainsi qu’il le traverse. Sans doute autrefois il faisait là une cascade."
Grenoble
" Grenoble combattit généreusement les troupes piémontaises, qui n’étaient autres que les excellents régiments levés par l’empereur dans le Piémont. Ce trait de courage civil encore plus que militaire, au milieu de la France abattue par Waterloo, est unique dans l’histoire de notre révolution.
Quel dommage qu’une fée bienfaisante ne transporte pas ici quelqu’une de ces terribles montagnes des environs de Grenoble !
Je craignais de trouver à Grenoble ce vilain petit pavé pointu qui à Lyon m’empêchait de marcher ; mais les Grenoblois sont gens d’esprit, sept de leurs rues sont déjà pavées en pierres plates que l’on tire de Fontaine, et dans six ans il n’y aura plus de pavés pointus. Le maire de la ville travaille douze heures par jour, et le conseil municipal est composé de gens d’esprit, la plupart jeunes et libéraux. Plût à Dieu que Paris fut administré par ces messieurs ! Il ne s’enlaidirait pas à vue d’œil. "
Grésivaudan
"J’oubliais de dire que de Rives, où j’avais affaire, je comptais gagner le pont de Beauvoisin, Fourvoirie, Chambéry et Genève, d’où je reviendrais bien vite à Paris.
Mais m’a dit M. N…., voyez donc le Grésivaudan. Je croyais d’abord qu’il s’agissait d’un lac, mais on désigne par ce nom la vallée de l’Isère.
C’est un pays magnifique autant qu’il est inconnu. Rien en France, du moins dans ce que j’ai vu jusqu’ici, ne peut être comparé à cette vallée de Grenoble à Montmélian.
J’arrive de Montbonnot, joli village au-dessus de Grenoble, et d’où j’ai pu la bien juger.
La vallée de l’Isère n’est point trop resserrée ; il me semble que fort souvent elle a bien deux lieues de large. Ce qui est admirable, c’est qu’elle a deux aspects absolument différents, suivant qu’on se place sur les collines de la rive droite ou sur celles de la rive gauche. A Montbonnot par exemple, rive droite, vous avez sous les yeux, d’abord les plus belles verdures et les joies de l’été ; plus loin l’Isère, grande rivière ; au-delà, des collines boisées, et encore au-delà, à une hauteur immense et comme sur vos têtes, les Alpes, les Alpes sublimes passées par Annibal, et encore en partie couvertes de neige le 5 août."
Laffrey
"Hier soir, fort tard, j’ai reçu une lettre de M. C., qui m’annonce qu’il a fait ma commission, et qu’aujourd’hui dimanche sur les dix heures du matin, je trouverai à Lafrey quatre paysans réunis par ses soins ; ces paysans furent témoins, il y a vingt-deux ans, de l’entrevue de Napoléon revenant de l’île d’Elbe avec le bataillon de la garnison de Grenoble. Là se décide le sort de l’entreprise la plus romanesque et la plus belle des temps modernes. Ce bataillon, envoyé par le général Marchand, commandant à Grenoble pour Louis XVIII, devait barrer la route à Napoléon, au point où elle est resserrée entre le grand lac de Lafrey et la montagne.
Comme je marquais par un petit rameau de saule la place à laquelle Napoléon s’est arrêté dans le pré, à une petite portée de fusil du bataillon, et vis-à-vis sa gauche :
Ce n’est pas un petit rameau qu’il faut ici, s’est écrié un des paysans. Ses yeux brillaient ; et il est allé couper sur un vieux saule une grande branche de plus de douze pieds de hauteur qu’il a plantée au lieu précis où Napoléon s’arrêta. Un jour il y aura dans cet endroit une statue pédestre de quinze ou vingt pieds de proportion, précisément avec l’habillement que Napoléon portait ce jour-là."
Pontcharra
"Au retour, par la rive gauche, entre Goncelin et Pontcharra, je suis monté avec respect sur un coteau assez élevé qui tient à la montagne ; là sont les ruines du château Bayard. Ici naquit Pierre du Terrail, cet homme si simple, qui, comme le marquis de Posa de Schiller, semble appartenir par l’élévation et la sérénité de l’âme, à un siècle plus avancé que celui où il vécut. La vue que l’on a des ruines du château de son père est admirable."
Le Pont-de-Claix
"J’ai été attrapé il y a huit jours, quand on m’a mené à Vizille par la route du pont de Claix, la plus impatientante du monde. C’est une double allée d’arbres de huit mille deux cents mètres de long qui s’étend en ligne droite de la porte de la Graille (ou de la Pie) au pont de Claix."
Pont-en-Royans
"Après avoir traversé la jolie forêt de Claix, nous sommes arrivés à une grande descente, et au bas du coteau nous avons aperçu Pont-en-Royans. Ce village est placé là au bout du monde, tout à fait contre un rocher à pic. Les maisons sont blanches, fort petites et couvertes d’un toit fait avec des pierres blanches. Tout cela se détache sur un rocher gris foncé tirant sur le rouge. Rien de plus singulier."
Rives
"Je pars de Tullins à six heures du matin, et à sept je suis à Rives ; je longe la Fure, qui est toute couverte d’usines, où l’on affine la fonte pour la changer en fer, ou mieux, en acier.
Je vois la superbe papeterie de M. Blanchet. Ces messieurs m’offrent l’hospitalité dans leur beau parc, avec une bienveillance naturelle et simple ; j’accepte sur le champ. Au lieu du séjour dans une auberge sale, j’ai passé toute la chaleur du jour, qui était accablante, dans un site délicieux, qui continue le paysage des grandes montagnes qui m’environnent de toutes parts."
La Sône
"Sur les onze heures, et une lieue avant Saint-Marcellin, nous avons quitté la grande route, et nous avons pris sur la droite, vers le curieux château de la Sône, qu’habitait autrefois la belle madame Jubié. Dans ce lieu féodal, tête de pont sur l’Isère, les ancêtres de cette aimable femme avaient établi une filature de soie et d’organsin (on tord ensemble plusieurs fils de soie). Les machines furent faites en 1771 par Vaucanson lui-même ; elles n’ont point vieilli. On nous a montré la machine avec laquelle il fabriquait ses chaînes."
Sud Grésivaudan
"Mais avant d’arriver à Tullins, j’ai trouvé une surprise délicieuse ; par bonheur, personne ne m’avait averti. Je suis arrivé tout à coup à une des plus belles vues du monde. C’est après avoir passé le petit village de Cras, en commençant à descendre vers Tullins. Tout à coup se découvre à vos yeux un immense paysage, comparable aux plus riches de Titien.
Sur le premier plan, le château de Vourey. A droite, l’Isère, serpentant à l’infini, jusqu’à l’extrémité de l’horizon, et jusqu’à Grenoble. Cette rivière, fort large, arrose la plaine la plus fertile, la mieux cultivée, la mieux plantée, et de la plus riche verdure. Au-dessus de cette plaine, la plus magnifique peut-être dont la France puisse se vanter, c’est la chaîne des Alpes, et des pics de granit se dessinent en rouge noir sur des neiges éternelles, qui n’ont pu tenir sur leurs parois trop rapides. On a devant soi le Grand Som et les belles montagnes de la Chartreuse ; à gauche, des coteaux boisés aux formes hardies. Le genre ennuyeux semble banni de ces plus belles contrées "
Tencin
"La terre de Tencin, l’une des plus belles du Dauphiné à vos yeux et aux miens, serait la plus belle de toutes aux yeux d’un enrichi : elle rend trente-cinq mille livres de rente, chose unique en ce pays de petite culture. La paysanne me raconte qu’une jeune personne accomplie, qui devait hériter de tout cela, vient de mourir, en deux heures de temps, à la veille de se marier.
Dans un des salons du château j’ai trouvé un fort bon portrait de d’Alembert, fils, comme on sait, de madame de Tencin, religieuse de Montfleury et sœur du fameux cardinal de ce nom."
Vienne
"Les gens de Vienne sont affables, et ne craignent nullement de compromettre leur dignité en parlant à un voyageur inconnu ; nous sommes à mille lieues de Paris. J’ai été présenté à M. Boissat, notaire, l’homme le plus influent de Vienne, et qui règne par la bonté […] Pour prendre une idée générale des montagnes et du cours du Rhône, j’ai eu le courage, malgré la chaleur excessive, de monter jusqu’aux ruines d’un vieux château qui couronne le mont Salomon. De ce point, la vue est étonnante ; il semble que le Rhône ait renversé les rochers et les collines pour se frayer un passage. Lorsqu’il arrive à Vienne, le fleuve coule, comme prisonnier, entre de hautes murailles de rochers. Vers le milieu de la ville, la Gère, petite rivière qui descend d’une haute vallée, et fait tourner les roues d’une quantité d’usines et de fabriques de draps, vient se jeter dans le Rhône."
Vizille
" Après deux heures de route, je suis arrivé à Vizille, berceau de la liberté française. Là se tinrent les fameux Etats généraux du Dauphiné, en 1788.
La cour de Louis XVI, un peu effrayée des cris obstinés des Dauphinois, autorisa le rétablissement des Etats de cette province ; ce fut un acte de faiblesse. Si Louis XVI n’avait pas affecté de laisser tomber en désuétude les Etats du Dauphiné, la révolution de 1789, au lieu d’être une cascade, n’eut été qu’une pente douce ; mais nous serions moins libres en 1837.
Il y eut une première assemblée à Vizille, où l’on ne traita que des affaires de la province, mais en se permettant des déclamations qui durent sembler bien étranges et bien offensantes à la cour.
Les Dauphinois ont au fond du cœur une fibre républicaine.
Sur la porte d’un pavillon que Lesdiguières bâtit dans son parc de Vizille, on m’a fait remarquer un bas-relief : ce sont deux poissons placés en sautoir, et qui peuvent avoir un pied de long ; au-dessous il y a une tête coupée. Le connétable, ayant trouvé un homme qui pêchait dans son parc, lui fit trancher la tête, et fit placer cette pierre au-dessus de la porte. De tels souverains agissent sur le moral des peuples plus que vingt êtres timides comme Louis XVI.
Le château et le parc appartiennent à MM. Périer, parent du ministre.
J’ai entrevu de loin une jeune femme de la tournure la plus noble, dans un charmant jardin anglais qu’elle a créé. Mais je regrette les arbres séculaires qui, dit-on, ornaient ce lieu, il y a trente ans. A Vizille, comme partout, l’industrie a succédé à la féodalité. La fabrique de Vizille a occupé jusqu’à douze cents ouvriers ; autrefois on y imprimait des toiles de coton ; on y imprime maintenant des tissus de soie pour foulards. "
Le château abrite aujourd’hui le musée de la Révolution française qui fait partie du réseau des 11 musées départementaux. Consultez le site internet du musée de la Révolution française