L’Alpe n°19 | Des sports et des jeux
Musée dauphinois
Interrogé par des journalistes sur le secret de sa longévité alors qu'il venait tout juste de fêter ses quatre-vingt-onze ans, sir Winston Churchill répondait, impassible, son éternel gros cigare entre les doigts : "Mon secret ? Le sport, messieurs. Le sport... Jamais de sport !" Curieux pour un ancien premier Ministre de sa très gracieuse majesté dont les sujets chérissent tant les activités gymniques qu'ils furent les premiers à se grouper, dès 1857, pour fonder l'Alpine Club ! Mais au fond, pas plus curieux que d'attendre près de cinq années pour dédier un numéro d'une revue alpine aux sports de montagne... D'aucuns ont pu se dire que la rédaction de L'Alpe avait fait sienne la devise du prix Nobel de littérature. Pas tout à fait faux. Pas tout à fait un hasard si nous avons préféré évoquer d'abord les musiques ou les fromages, thèmes bien plus profondément ancrés dans l'histoire et les cultures de ce territoire.
Au-delà d'un alpinisme emblématique, nous avons souhaité ouvrir ce numéro aux nombreuses autres activités ludiques pratiquées dans les Alpes. Car les montagnards n'ont pas attendu les premières ascensions ni, plus tard, la naissance des sports d'hiver, pour s'accorder quelques instants de répit dans une vie quotidienne fort rude. Luttes à mains nues et autres pétanques savoyardes (le méconnu "cornichon") rythmaient ainsi les saisons bien avant que n'arrivent les Britanniques et l'invention de la pente comme espace de plaisirs. Cette même pente qui, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle n'était synonyme que de sueur, de sang et de larmes pour les habitants des Alpes, devenait tout à coup, par la grâce du tourisme, terrain de jeux privilégié d'une population plutôt citadine et très aisée. Tour à tour gravie, puis descendue, cette pente se trouve aujourd'hui parcourue en tous sens, dans l'eau, sur terre comme dans les airs.
Du ski-jöring jusqu'au parapente en passant par le raft ou les courses à bicyclette, des dizaines de manières différentes d'approcher la montagne sont ainsi nées en un peu plus de deux siècles, bouleversant du même coup l'ensemble du paysage alpin, tant naturel qu'humain. C'est une partie de ces révolutions-là, avec leurs faces cachées (la place des femmes, la montagne et la patrie) et leurs effets induits (l'image de la montagne, une "clientèle" dépendante), que ce numéro de L'Alpe explore dans une thématique en clin d'œil à sir Winston Churchill. Pascal Kober.
Sommaire :
- « Le terrain de jeu de l'Europe » Le titre du livre de Leslie Stephen, paru en 1871 à Londres, a fait florès pour désigner les Alpes et leurs multiples facettes ludiques. C'est en véritables explorateurs que les alpinistes abordaient alors ces contrées reculées, riches en parois vierges à conquérir mais également peuplées d'indigènes plus exotiques les un(e)s que les autres. Extraits.
- « Le Dictionnaire encyclopédique des Alpes : L'Europe des clubs » Regrouper les alpinistes en associations. L'idée germe alors que la conquête des cimes bat son plein. Dès la fin du XIXe siècle, dans la foulée des Britanniques, des clubs alpins voient le jour dans toute l'Europe. Elitistes (et misogynes pour la plupart), ils ont largement contribué par la suite à populariser les activités de montagne. Par Olivier Hoibian.
- « Joutes alpestres » Ethnologues avant l'heure, de nombreux voyageurs parcouraient les Alpes au XIXe siècle, rapportant au retour les étonnantes coutumes des populations montagnardes. Ainsi de ces traditionnels jeux de force suisses décrits par Jules Gourdault, auteur d'un bel ouvrage en deux tomes, « La Suisse, études et voyages à travers les 22 cantons » (illustré de 750 gravures sur bois), publié en 1879 à Paris, librairie Hachette.
- « Le jeu du cornichon » Une pétanque alpine originale s'est longtemps pratiquée en région savoyarde. Rituel ludique réservé aux hommes, le "cornichon" est un jeu d'adresse et d'imitation qui rassemble les villageois pour un parcours festif autour du territoire communal. Par Nicolas Abry.
- « Portfolio : la mémoire du sport » C'est un artisan. Au plus beau sens du terme. Celui de la racine étymologique. Qui a quelque chose à voir avec l'art, le goût pour le travail bien réalisé et l'attention portée aux petits détails qui font l'essentiel. Gérard Vandystadt est un artisan de l'image. Par Pascal Kober.
- « Les maîtres des cols » Le Tour de France aura cent ans cet été. Dont quatre-vingt-douze passés dans les "grandes Alpes" entre le col des Aravis et celui de Restefond. Le quotidien L'Equipe, à l'origine de l'épreuve, vient de faire paraître à cette occasion un remarquable coffret historique. Où l'on découvre qu'écrire pour un journal sportif n'empêche ni le lyrisme ni les qualités littéraires. Par Henri Desgrange et Antoine Blondin.
- « Le plus beau métier du monde » "Pas le plus vieux, non, le plus beau. C'est tout du moins ce que tout le monde croit." Ainsi Jean-Marc Aubry évoque-t-il sa profession : accompagnateur en moyenne montagne. Randonner sur l'alpe avec des groupes hétéroclites n'est pourtant pas toujours de tout repos. « Une semaine de vacances », chronique vécue récemment parue aux éditions Guérin, en donne un malicieux aperçu. Bonnes pages.
- « Alpinisme au féminin » Bravant les préjugés, elles affrontaient les neiges et les rocs en jupe et en corset. Une poignée de hardies pionnières ont ouvert l'alpinisme à la gent féminine. En deux siècles, les femmes se sont imposées dans cette activité qui semblait réservée aux hommes. Mais si elles ont conquis des sommets, elles sont encore loin de la parité... Par Ingrid Runggaldier.
- « Par vents et par vaux » Les voyageurs du ciel, pilotes chevronnés, ne se contentent plus de descendre des montagnes en parapente. Navigateurs au long cours, ils parcourent désormais des centaines de kilomètres en jouant à saute-mouton avec les massifs sous leur drôle de bout de tissu coloré. Un sport tout en finesse qui offre à ses adeptes d'habiles jeux d'air et l'ivresse du grand large. Par Xavier Murillo.
- « Le vrai toit du monde » Braco le guide, au fond du café, raconte toujours la même histoire. De préférence quand le temps est à la tempête. La brume lui monte au cerveau lorsque le brouillard cache le clocher. Ça l'inspire. Braco était un grand guide. Il l'est toujours, au moins en paroles, mais il traîne la patte. Sa voix accompagne la tourmente. C'est comme un bruit de fond. Il parle de sa plus grande course : le pic Coolidge. Attention, ne riez pas, il pourrait se fâcher. Une nouvelle de René Siestrunck.
- "Fils de pub » Miroir de nos désirs, la publicité donne à lire, en filigrane, les courants de pensée de nos sociétés. Dans ce domaine, le microcosme des sports de montagne permet un passionnant décryptage. Enquête sur les dessous (chics ?) des pratiques alpines. Par Philippe Bourdeau et Guillaume Vallot.
- « La montagne pervertie » Sous Vichy, les vertus magnifiées de l'alpinisme sont largement détournées au service de la propagande d'un régime collaborationniste. Le credo du gouvernement est simple : régénérer la nation par le sport. Regard sur une appropriation idéologique. Par Alice Travers. Et encore
- « Un prince turc dans les Alpes » Retenu captif au pied du Vercors, jouet d'intrigues politiques, le sultan Djem fut ballotté de part et d'autre des Alpes. Entre la rigueur de froides forteresses et la douceur de belles jouvencelles, le tragique destin d'un prince ottoman en exil. Par Anne da Costa.
- « A quoi va servir l'année des montagnes ? » "Le machin qu'on appelle l'ONU" (selon la célèbre expression du général de Gaulle) vient de clore l'année internationale des montagnes 2002 par un Sommet mondial qu'accueillait Bichkek, la capitale du Kirghizstan. Une grand-messe bruissante de belles déclarations et pavée de bonnes intentions, résumées dans un document officiel, la "Mountain Platform". Dans l'assemblée, Garth Willis écoutait attentivement. Il est sorti perplexe de ce Sommet... Réflexions pragmatiques d'un homme de terrain.
- « Alpes d'ailleurs : le soleil dans la chambre noire » Dans les Carpates, au nord de la Roumanie, des paysans vivent encore au rythme paisible de coutumes ancestrales et de savoirs préservés. Sublimés par le regard lumineux du photographe Dan Dinescu, leurs gestes et leurs usages, leurs visages et leurs villages rayonnent à contre-jour et à contre-temps. Voyage au Maramures. Par Claude Macherel.
- « Passages de l'alpe » La culture musicale alpine existe-t-elle ? Et si oui, que peut-elle bien générer dans l'imaginaire des compositeurs contemporains évoluant dans les mondes du jazz, de la musique contemporaine ou de la relecture des traditions ? Des questions qui seront au coeur de « Passages de l'alpe », l'un des temps forts du Grenoble Jazz Festival et que Daniele Jalla a réinterprétées à sa façon