L’alpe 35 | Stars et toiles (des neiges)
Cinéma et montagne
Cinéma et montagne
Musée dauphinois
Quelle image le cinéma a-t-il donnée des Alpes en un peu plus d'un siècle d'histoire ? Délicate aquarelle ou tableau hyperréaliste ? Chromo ou caricature ? Le regard des réalisateurs est évidemment pluriel. Comme celui des peintres et des photographes. Notre sommaire en évoque toute la richesse. Sous un titre plus badin que de coutume, nos auteurs ont exploré, à l'échelle de l'Europe, les cultures et les patrimoines mouvants d'une forme narrative récente qui trouve encore trop peu d'écho dans la recherche. En ce sens, le colloque scientifique (voir page 54) organisé autour de la saga James Bond par les universités de Paris X et Versailles à la Bibliothèque nationale de France relève d'une jolie fraîcheur intellectuelle.
Au-delà de l'espion qui aimait les Alpes, bien des champs d'investigation pourraient s'ouvrir pour les chercheurs comme pour les journalistes qui veulent sortir des sentiers battus. Quel rôle Leni Riefensthal a-t-elle fait jouer à la montagne avant de se compromettre avec le régime nazi ? Pourquoi les réalisateurs indiens, si prolifiques, viennent-ils tourner dans les Alpes ? Quels poncifs nous ressert-on dans les films américains à grand spectacle qui oublient la malice de Laurel et Hardy dans Les montagnards sont là ! ou la finesse d'autres longs métrages comme Cinq jours ce printemps-là, La trace,La mort suspendue ou le récent Au sud des nuages ?
En préparant ce numéro, c'est l'image qui nous a le plus manqué. Notre rédaction prend un malin plaisir, chaque fois renouvelé, à vous dénicher une iconographie inédite, décalée, surprenante, voire dérangeante. Mais le monde du cinéma est paradoxalement pauvre en archives cohérentes, à l'exception de fabuleuses bases de données textuelles sur Internet comme allocine.fr ou imdb.com. Sans l'aide du musée de la Montagne de Turin et de quelques autres institutions, nous aurions ainsi été contraints de publier (lorsqu'elles sont encore disponibles) les images de presse floues et mal cadrées qui accompagnent des superproductions dont les budgets se chiffrent pourtant en centaines de millions d'euros. Sans mémoire, pas de rêve, faudrait-il conclure en paraphrasant Albert Jacquard.
En ce début d'hiver, la rédaction vous souhaite une nouvelle année belle et heureuse qui marquera pour nous une étape importante de notre aventure de presse. À l'automne prochain, nous publierons en effet une nouvelle revue trimestrielle qui s'intéressera à la géographie culturelle de toute la planète. Élaborée sur le même modèle que L'Alpe (qui poursuivra, bien sûr, son bonhomme de chemin), exigeante et iconoclaste, elle vous proposera surtout (mais pas seulement) des contributions de scientifiques qui sauront faire partager leur savoir à des lecteurs curieux. Il s'agira, en somme, d'aller à la découverte du monde, de comprendre la diversité des civilisations, de leurs modes de vie et de leurs territoires, d'analyser les grands enjeux contemporains, bref, de renifler le temps. Avec la curiosité pour principal guide. Pascal Kober
Sommaire :
- « Le Dictionnaire encyclopédique des Alpes : septième art au septième ciel » Actrice ou décor, les Alpes ont le beau rôle dans un grand nombre de films, documentaires et de fiction. Théâtre de drames intimistes ou de prouesses à grand spectacle, tantôt réaliste, tantôt poétique ou symbolique, la montagne contribue depuis un siècle à la magie du cinéma. Par Piero Zanotto.
- «L'appel des cimes » Pionnier de la pellicule, Félix Mesguich s'inscrit dans l'histoire du cinéma en montagne pour un court métrage réalisé en 1905. Opérateur des frères Lumière, il parcourt le monde avec sa caméra et retrace ses aventures dans un livre de souvenirs (Tours de manivelle, Bernard Grasset, 1933) dont un chapitre rappelle ses premiers tournages alpins. Extraits.
- «Portfolio : têtes d'affiches » Émouvantes ou drôles, spectaculaires ou épurées, vulgaires ou guindées, elles jouent des divers registres de notre imaginaire. Complétées par une noria de publications, depuis les brochures publicitaires jusqu'au roman-photo, les affiches disent l'évolution de notre regard sur les Alpes au fil d'un siècle d'histoire du cinéma. Par Aldo Audisio.
- «Noir et blanc ; un monde manichéen » Le Bergfilm, genre cinématographique essentiellement germanique en vogue dès les années 1920, repose sur une idéologie conservatrice, voire nationaliste. Au pied de monts à la blancheur immaculée, lieu de l'effort salvateur, surgissent ainsi tous les symboles de la noirceur. Corruption des vallées contre pureté des hauteurs. Par Rémy Pithon.
- «Made in Hollywood» Les réalisateurs américains ont avec les Alpes une relation paradoxale. Séduits par leurs paysages, ils sont pour la plupart étrangers à leur essence. À quelques rares exceptions près, l'univers alpestre reste un décor pour des films à grand spectacle, sans vraiment participer au scénario. Petit travelling, pour le meilleur et pour le pire. Par Bernadette McDonald.
- «Bollywood dans les Alpes» Les réalisateurs indiens de films « à la sauce masala » ont trouvé dans les Alpes un décor idéal… Saris et turbans font bon ménage avec les chalets suisses ou les glaciers tyroliens, apportant une touche d'exotisme et une bouffée de rêve à des millions de spectateurs. Une étonnante délocalisation ! Par Marco Ribetti.
- «Le blanc vous va si bien» Dans la fiction, l'alpe peut-elle devenir un personnage ? Être une présence indispensable qui infléchit l'action et les émotions ? Tour à tour voile de mariée, fourrure glamour, cocon festif, serial killer ou linceul, la montagne est ici dans tous ses états. Petit flash-back, ni exhaustif ni qualitatif, sur ses différents rôles. Par Monique Neubourg.
- «007 : l'espion qui skiait» James Bond n'a jamais renié son goût pour la montagne. Décor somptueux ou terrain de jeux (presque) dangereux, elle est ici un miroir glacé des visages changeants de notre société. Après la récente sortie de Casino Royale, zoom sur l'espion qui aimait les sommets… Par Michel Tailland.
- «Huit secondes pour vous dire…» … que la publicité a fait des Alpes l'un de ses terrains de prédilection. Glorifiées, exploitées, détournées, les montagnes concentrent le pire et le meilleur de la communication. Retour sur quelques dizaines d'années de slogans-culte (dont le célèbre Ovomaltine) ou complètement oubliés. Par Audrey Passagia. «Et pourtant, ils tournent» Silence… Moteur… Nul besoin d'avoir une connaissance « himalayesque » de la technique cinématographique, pour deviner que les conditions imposées par un tournage en montagne relèvent définitivement du torrent peu tranquille. Rencontres au sommet. Par Monique Neubourg.
- «Objectif mémoire(s) » Les documentaires et films de famille, plus encore que les fictions, représentent une mémoire fragile. Après une tardive prise de conscience, quelques institutions ont entamé une collecte en règle de ces archives alpines. Sans échapper à la question de leur conservation et de leur restitution au public. Par Jean-Henry Papilloud.
- «Un certain regard» Dans les Alpes, une exposition du musée des Beaux-Arts de Zurich (Suisse), revient sur l'interprétation du territoire par les scientifiques, les artistes et les voyageurs. Un sujet battu et rebattu, pourtant habilement redécouvert ici, avec des œuvres étonnantes et iconoclastes dont quelques perles de Winston Churchill, Jean-Luc Godard ou Jacques-Henri Lartigue. Par Dominique Vulliamy
- «Navigation en altitude» Vu de la mer, le relief est un repère d'importance pour les navigateurs. Au fil des explorations, les cartographes ont cherché, derrière les sinuosités du rivage, à représenter la montagne qui participe ainsi à l'aventure des cartes marines. Une facette inédite que dévoile ici Olivier Le Carrer, auteur du splendide ouvrage Océans de papier, récemment paru aux éditions Glénat. Par Olivier Le Carrer.
- «La belle voisine» Arts visuels, photo, musique, cinéma, littérature, théâtre et danse sont au programme d'un vaste échange artistique entre la Suisse et la région Rhône-Alpes dont le coup d'envoi sera donné en janvier prochain à Lyon et qui se prolongera durant toute l'année. Une occasion de vérifier que la création helvétique recèle de nombreux talents d'envergure internationale. Par Pascal Kober.