Les chapelles rurales en Matheysine
Dans le territoire nommé aujourd'hui Matheysine et regroupant les anciens cantons de La Mure, Corps et Valbonnais presque tous les hameaux disposaient à la fin de l’Ancien Régime d’une chapelle dûment consacrée. Fruit de la volonté des habitants de pallier à leur éloignement de l’église paroissiale et à leur isolement pendant les mois d’hiver - au cours desquels les chemins étaient parfois dangereux ou infranchissables - la fondation d’une chapelle résultait avant tout d’un acte de dévotion ; elle comportait aussi un engagement financier pour ceux qui léguaient ou engageaient des fonds et des sommes afin de bâtir, restaurer ou encore rémunérer le curé pour un certain nombre de messes. La préservation et l’entretien de ces chapelles a toujours constitué une charge financière importante – parfois trop – pour ces communautés aux ressources limitées ; nombre d’entre elles ont donc disparu. Sur la centaine de chapelles rurales connue des sources, un peu moins de la moitié existe encore et la plupart de celles-ci restent encore ouvertes au culte.
Les chapelles les plus anciennes
Sur ce territoire, aucune source écrite attestant de la fondation d’une chapelle avant le XVIIe siècle ne nous est parvenue. Seuls deux édifices sont probablement d’origine ancienne, non sans avoir été largement remaniés. La chapelle de Petitchet à Saint-Théoffrey, avec sa fenêtre gothique en tiers-point, est mentionnée comme ayant subi des destructions lors des guerres de Religion. Sa date de fondation remonterait donc au moins au XVIe siècle. La chapelle de Tors à Saint-Honoré, avec son abside en cul-de-four en appareil de moellons s’articulant au bout d’une petite nef, s’inscrit pleinement dans le modèle de la petite église médiévale ; elle desservait probablement le grand domaine agricole dépendant de l’abbaye des Ayes (Crolles).
L'expansion au XVIIe et XVIIIe siècles
Au XVIIe siècle, dans le sillage du Concile de Trente (1545 – 1563), la reconquête spirituelle opérée par l’église catholique passe par la multiplication de fondations de chapelles rurales là où le besoin des paroissiens se fait sentir. Les épidémies de peste sont à l’origine d’une première série dédiée à saint Roch (à Villard-Saint-Christophe et Saint-Michel-en-Beaumont vers 1630), mais aussi à saint Sébastien ou encore saint Christophe, protecteur des voyageurs. Cet élan de constructions ne s’amorce réellement qu’à partir de la deuxième moitié du siècle et concerne alors la plupart des hameaux principaux. Chronogrammes et mentions dans les visites pastorales témoignent de la fondation de chapelles dès 1647 aux Achards (Les Côtes-de-Corps), en 1657 aux Engelas (Valbonnais), en 1658 au Désert de la Morte, en 1661 à Moulin-Vieux (Lavaldens) et en 1665-66 aux Faures et à la Chalp, en Valjouffrey.
La tendance s’amplifie avec la nomination d’Etienne Le Camus, ancien aumônier du Roi, comme évêque de Grenoble en 1672. Durant son épiscopat, il effectue un grand nombre de visites pastorales, autorise des fondations et multiplie les prescriptions pour réhabiliter des lieux de culte nécessitant souvent des réparations (plancher, voûtes) et parfois dépourvues d’ornements. Dans les dernières décennies du siècle, les fondations se poursuivent, souvent à l’initiative de particuliers (Jacques Rutty fonde celles de Fontagnieu et de Rif Bruyant à Lavaldens), ou bien d’hommes d’église (le curé Didier Barruel fait bâtir entre 1680 et 1682 celles de La Coirelle, de la Bergogne et des Josserands à Cholonge). À l’orée du XVIIIe siècle, même les hameaux les plus reculés en sont dotés (Confolens au Périer, le Poyet à La Valette, Chabrand à Valbonnais). Au cours du siècle suivant, l’élan religieux se poursuit et se traduit par une trentaine de fondations, mais aussi par la construction de chapelles non autorisées que l’évêché qualifiera de « sans fondation », telles celles de Prunières ou de Simane. Localement, les initiatives individuelles restent toujours un moteur essentiel, comme en témoigne le legs du curé Paret, en 1710, qui permet la restauration des chapelles des Pras, de Fallavaux et de Dorcière sur la commune de La Salette-Fallavaux. Les visites pastorales de 1728 ou de 1784 attestent du bon entretien général des chapelles et de quelques reconstructions.
Les saints les plus populaires
Les années 1720 voient se diffuser la dernière grande épidémie de peste depuis le port de Marseille. Les mesures d’isolement prises par le Parlement du Dauphiné pour empêcher le franchissement des « ponts, ports et passages qui sont sur l’Isère, le Drac, la Romanche » permettent de cantonner l’épidémie au sud. Dans le Valbonnais et le Beaumont, plus exposés, le culte de saint Roch se ravive ; de nouvelles chapelles s’élèvent à Valbonnais, à Entraigues, aux Faures (Chantelouve), aux Doms (Le Périer) et dans les environs de Corps. D’autres épidémies et épizooties affectent la région durant la seconde moitié du siècle, renforçant ainsi la dévotion envers les saints guérisseurs, saint Antoine au premier chef. Son culte prend, dans les paroisses de Matheysine et de Valbonnais de la seconde moitié du XVIIIe siècle, une ampleur particulière : en quelques décennies sont fondées les chapelles du Rochas à Chantelouve (1756), de la Ville à Monteynard (1757), des Thénaux à Saint-Théoffrey (1758), de Péchal à Valbonnais (1765) et celle des Champs à Marcieu (1769). De même, le culte de sainte Anne reprend vigueur dans la seconde moitié du XVIIe siècle, avec la fondation ou la reconstruction de six chapelles sous ce vocable, dont celles du Désert (La Morte) et du Désert-en-Valjouffrey, qui ont longtemps été des lieux de pèlerinage liés à la pluie.
Eléments de typologie
En général, les chapelles sont bâties au cœur du hameau ou au pire à sa lisière, au prix d’une implantation sur un terrain en forte pente, comme à « Sous la Roche » (Chantepérier), aux Ablandins ou à Dorcière (La Salette-Fallavaux). Leurs dimensions varient en fonction du nombre d’habitants mais aussi des contraintes induites par les bâtiments existants. Quant aux dispositions de l’édifice, elles ne semblent jamais déterminées en fonction de l’orientation canonique (chœur vers l’est) mais toujours, en ces pays d’hivers rigoureux, afin que le percement des baies (de façade et latérales) permette de maximiser l’ensoleillement (au sud et à l’est) et de minimiser l’exposition aux versants froids et humides.
Les ouvertures
Le volume architectural comprend une simple nef avec façade principale sur mur pignon, s’achevant généralement par un chevet plat et aveugle. La disposition de baies la plus répandue combine l’ouverture principale en plein cintre avec une ou deux ouvertures latérales sur un des longs murs, l’autre étant aveugle. C’est le cas de la plupart des chapelles de Matheysine et des hautes vallées du Valbonnais. Les baies le plus anciennes se reconnaissent par une dimension plus réduite mais un ébrasement intérieur très prononcé. Sur la commune de Valbonnais et dans les alentours de Corps où un certain nombre de chapelles fondées au XVIIIe siècle disposent plutôt d’ouvertures concentrées en façade (deux baies latérales de part et d’autre de la porte), aux baies majoritairement en plein cintre, avec encadrement en pierres de taille. Celles de Dorcière, de Fallavaux, (La Salette-Fallavaux) et du Villard (Les Côtes-de-Corps) se distinguent par l’emploi d’un bloc taillé unique pour servir de jambage à la porte et aux fenêtres latérales. Parfois la baie principale comporte une modénature plus élaborée, avec arc plein cintre et éléments saillants : clés, tailloirs, parfois base des pilastres, comme à la chapelle Saint-Roch (Corps), à la Roche (Valbonnais) ou aux chapelles du XIXe siècle des Pras et du cimetière des Canadiens (La Salette-Fallavaux).
Toitures, voûtes et plafonds
Les visites pastorales nous enseignent également qu’en Matheysine, la quasi-intégralité des toitures des chapelles restent recouvertes de chaume tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, alors même que les évêques se concentrent alors sur les églises paroissiales pour y faire remplacer le chaume par l’ardoise, matériau plus noble et surtout moins inflammable. La situation diffère dans les communautés de l’ancien mandement de Valbonnais où les quelques sources s’y intéressant au XVIIIe siècle ne mentionnent que l’ardoise ou les « lauzes », provenant des anciennes ardoisières de Chantelouve et de Valjouffrey. Aujourd’hui le chaume a disparu et rares sont les toitures conservant encore les pignons à redents qui l’abritaient des vents comme à Combalberte (Saint-Honoré) ou aux Achards (Les Côtes-de-Corps). Si le XXe siècle a vu successivement les toits se couvrir de dalles de fibro-ciment ou de bac acier (sans parler de la très économique tôle ondulée), il reste encore une dizaine de chapelles au toit couvert d’ardoises. Celles des environs de Corps conservent la spécificité de la tuile écaille, diffusée dès le XVIIIe siècle, et qui s’adapte également aux absides en cul-de-four à croupe ronde, disposition de style plus méridional mais qui se retrouve dans l’extrême sud du territoire comme aux Pras (La Salette-Fallavaux), à Saint-Roch et au Coin (Corps). Enfin, dans la vallée de Valjouffrey principalement, l’entrée principale est protégée, soit par un vrai porche couvert (chapelles du Désert et du Villard), soit par un auvent à trois faces en tuiles d’ardoise (La Chalp, Valsenestre).
Pour le couvrement intérieur, les mentions de voûtes « lambrissées » restent rares, les plus anciennes datant de 1672 (la Chalp et le Désert en Valjouffrey), sans que l’on puisse certifier que cela désignait un plafond à caissons. Actuellement, seules quatre chapelles présentent un plafond « lambrissé » à caissons de bois, avec profil en berceau à la Traverse (Villard-Saint-Christophe) et à Valsenestre, à trois pans à Dessous la Roche (Le Périer) et à cinq pans à La Roche (Valbonnais). Mais leur ancienneté est difficile à attester, certains ayant probablement été refaits aux XIXe ou XXe siècles. En d’autres lieux, il a pu être remplacé par un lambrissage de lattes sur trois pans. Partout ailleurs, les voûtes sont maçonnées en berceau plus ou moins évasé. Beaucoup plus rare, la voûte d’arêtes semble avoir été réservée au chœur de chapelles au statut privilégié (comme à la chapelle du Désert-en-Valjouffrey, labellisée « Patrimoine en Isère »), mais a souvent été remise en œuvre pour les édifices du XIXe siècle.
La désaffection et l’abandon aux XIXe et XXe siècles
Le XIXe siècle marque un coup d’arrêt majeur à cet élan constructif. Plus du tiers des chapelles existantes sont vendues à la Révolution et toutes ne seront réaffectées au culte par la suite. Les rares nouvelles fondations ne se font plus qu’à l’initiative de particuliers comme au Collet (Pierre-Châtel), ou à Versenat (Susville). Quant au grand mouvement de reconstruction d’églises soutenu par les chartreux, dans la seconde moitié du XIXe siècle, il se fait sentir ici tardivement en oblitérant totalement la question de l’état des chapelles. Le retentissement national de la nouvelle dévotion à la Vierge de la Salette, n’aboutira sur son territoire d’origine qu’à de rares constructions nouvelles. Aux mouvements de terrain - responsables de la ruine des chapelles des Champs (Marcieu), des Merlins (Susville), des Souchons (La Salle-en-Beaumont) – et à l’abandon vient alors s’ajouter au XXe siècle un autre facteur de destruction, l’élargissement de chemins recalibrés en routes pour faire passer les automobiles. A de rares exceptions près - la population minière du bassin de La Mure qu’on accueillera dans des édifices pas toujours conçus pour le culte (chapelle du Villaret ou de Nantizon, à Susville) - le XXe siècle ne voit s’ériger aucune chapelle nouvelle. Ce n’est qu’à la fin du siècle qu’émerge enfin une prise de conscience patrimoniale globale, aboutissant à de nombreuses initiatives de restauration, malheureusement pas toujours réalisées dans les règles du respect architectural de l’édifice.
Bibliographie sommaire :
- Visites Pastorales aux Archives Départementales de l’Isère
- Articles de Michel PEYRIN dans la revue « Mémoires d’Obiou », fondés sur le dépouillement des Visites Pastorales aux Archives Départementales de l’Isère
- BARNOLA (P.), « Les paroisses du Beaumont de Saint-Eldrad à nos jours »
- « Alors le Dauphiné détourna le bras vengeur de Dieu... Une province face à la peste (1720-1722) », in Evocations. Bulletin mensuel du Groupe d'études historiques et géographiques du Bas-Dauphiné, 1998-1999
- REYMOND (R.), Mémoires de Saint-Théoffrey, 1995, p. 111.