L'église Saint-Jean de Grenoble
Ouverte au culte en 1965, l’église Saint-Jean est une des réalisations les plus marquantes des églises nouvelles construites durant le XXe siècle à Grenoble. L’édifice labellisé « Architecture Contemporaine Remarquable » depuis 2002, et récemment distingué par le label Patrimoine en Isère, a connu de profondes transformations jusqu’à la construction de la maison paroissiale attenante en 2008.
Récit d’une construction hors norme et retour sur les décennies qui ont modifié les contours de l’œuvre originale.
En 1956 [1], l’association Diocésaine de Grenoble acquiert du propriétaire des établissements Lustucru, M. Cartier Million, un terrain de 3000m2 en bordure du boulevard Joseph Vallier en vue d’édifier une église. Jusqu’en 1956, on célèbre les messes dominicales à l’intérieur du cinéma « Le Roxy », à l’angle de la rue de Belledonne et du Cours de la Libération. Une chapelle provisoire est aménagée par la suite dans un garage désaffecté de la rue Sidi Brahim.
La nouvelle paroisse Saint-Jean est fondée le 28 Juin 1959 [2] ; il s’agit à l’époque de la plus importante de Grenoble (25000 habitants). Maurice Blanc, responsable de l’équipe liturgique au sein du Comité paroissial, est naturellement désigné comme architecte du projet, de manière à ce que sa conception soit « l’œuvre commune d’une équipe paroissiale ». Il formalise les premières esquisses dès 1959. En 1961, près d’un millier de paroissiens participent au pèlerinage de la Salette pour rapporter la pierre sur laquelle on bâtira la nouvelle église. Le permis de construire est accordé à l’automne suivant.
La notice jointe à celui-ci décrit un édifice de plan quasi-circulaire, surélevé au-dessus du sol par un réseau de portiques rayonnants en béton armé brut de décoffrage. La chapelle de semaine occupe le centre de cet espace couvert formant narthex. La couverture de l’église prend la forme d’une voile prétendue en résille de câbles. L’ingénieur René Sarger, qui a fait usage d’une technique similaire pour le pavillon de la France à l’exposition universelle de Bruxelles (1958), est associé à sa conception. Dans l’angle Sud-ouest de la parcelle, Maurice Blanc projette un bâtiment de forme cylindrique abritant la cure et les salles de réunion, dont la réalisation est différée à une phase ultérieure de travaux.
La consultation n’aboutit pas pour le lot charpente-couverture ; le projet s’oriente vers une autre solution innovante. La charpente sera constituée d’un double réseau de génératrices en bois, décrivant un paraboloïde hyperbolique de révolution [3]. Le 7 Avril 1963, dimanche des Rameaux, l’évêque procède à la pose de la première pierre et à sa bénédiction.
Pour concevoir l’aménagement intérieur, Maurice Blanc s’associe au couple d’artistes Pierre et Véra Székély. Plusieurs croquis d’étude conservés aux archives départementales de l’Isère, témoignent des échanges entre l’architecte et le sculpteur.
Au printemps 1964, l’entreprise Lafosse débute la pose de la charpente. A l’occasion d’une visite sur le chantier, Maurice Blanc note l’apparition de déformations au niveau des génératrices en bois. Le bureau d’étude les considère sans effet sur la solidité de la structure. Le chantier se poursuit et en octobre 1964, une coupole de 7 mètres de diamètre est posée par hélicoptère à son sommet. Masquée extérieurement par la couronne en feuilles de cuivre coiffant l’édifice, elle diffuse son puissant cône de lumière au-dessus du chœur.
Le calepinage de la couverture en revêtement « Glasal » (fibrociment amianté) dessine des motifs en losanges, rappelant ceux créés intérieurement par les génératrices. Le projet de M. Blanc, considéré comme l’une des meilleures réalisations diocésaines, est publié dans plusieurs revues nationales. A l’été 1965, la maquette est présentée au XVe salon de l’Art Sacré, au Musée d’Art moderne de Paris.
A peine posée, la coupole en polyester est elle aussi source d’inquiétude. Des travaux complémentaires sont engagés pour améliorer son étanchéité et renforcer la charpente. Malheureusement les déformations ne vont qu’en s’accentuant, de sorte que la couverture doit être remplacée par des bardeaux d’asphalte, plus souples pour absorber les mouvements.
L’église est livrée aux fidèles et bénie le 13 avril 1965. Des mesures régulières permettent de surveiller la stabilité de la structure. A la fin de l’année 1965, il semble que l’état d’équilibre soit enfin atteint, mais de nouveaux craquements se font entendre quelques mois plus tard. Débute alors un très long contentieux judiciaire. Des expertises concluent en 1976 à la nécessité de démolir la partie supérieure de l’église.
L’édifice va être reconstruit sur la base de la première construction, conservée intégralement dans sa partie inférieure jusqu’à la poutre chéneau formant la ceinture basse du comble.
Autour du père François Million, curé de St-Jean depuis 1969, se constitue une équipe de paroissiens composée entre autres d’ingénieurs et de techniciens. A la fin de l’année 1977, M. André Fanjat de St-Fons, ingénieur à Paris et agréé en architecture, remet plusieurs esquisses. L’association diocésaine lui confie la mission d’aménager un local provisoire pour entreposer le mobilier de l’église, d’étayer et démolir la structure existante, puis de réaliser le nouveau comble. Le permis de construire est approuvé à l’été 1978. Six mois plus tard, la veillée de Noël est célébrée dans la vasque de l’église à ciel ouvert.
A l’automne 1979, les ateliers de la « Charpente Moderne » (Pont-de-Claix) achèvent le chantier du comble. Les poutres maîtresses en bois lamellé-collé s’appuient sur les 18 piliers existants et convergent vers un lanternon central. A la faveur de cette reconstruction, l’association paroissiale envisage d’acquérir un orgue et d’ouvrir l’église à d’autres utilisations compatibles avec sa vocation cultuelle. Elle confie la réalisation de l’orgue à la manufacture Michel Giroud de Bernin (1981-1991). Le projet culturel s’élabore en concertation avec la Direction des Affaires Culturelles de la Ville de Grenoble. L’association fait valoir une capacité de 1300 places après rénovation, l’amélioration de l’acoustique, et étudie avec les services de la Ville la possibilité d’une mise à disposition pour une série de concerts annuels. Le projet se heurte à l’agencement intérieur du chœur dont la configuration ne permet pas d’accueillir un orchestre dans des conditions optimales. Le sol est en pente descendante vers le sanctuaire -lui-même bombé du fait de la courbure de la coupole couvrant la chapelle de semaine située en-dessous- ce qui rend l’espace difficilement utilisable. L’autel, solidaire de la dalle en béton comme les sièges du célébrant et des desservants, interdisent l’usage de la partie centrale autrement que pour le culte. Le bureau d’étude grenoblois chargé du projet propose de remplacer le mobilier liturgique afin de le rendre facilement amovible (mobilier bois) et de mettre le sol à niveau en supprimant le bassin et la fontaine baptismale, pour créer un espace de « 225m2 totalement dégagé, sans recoins ni angles morts, qui peut être mis à disposition d’une troupe théâtrale ou d’un orchestre symphonique » [4].Le Département et la Ville décident d’apporter leur soutien financier. La création de la paroi en fond de chœur et du sas d’entrée Est datent de la même campagne de travaux.
La nouvelle église Saint-Jean est bénie par Monseigneur Matagrin le 24 novembre 1979.
L’ensemble est à nouveau modifié en 1981 pour créer une salle paroissiale et des locaux de rangement sous la nef (Architecte Joseph SAURET, actuelle salle François Million) ; puis de façon plus sensible par la construction de la maison paroissiale en 2007-2008 (Architecte Thierry ALICOT) en lieu et place de celle imaginée en 1962 par Maurice Blanc. Cette ultime étape entraîne la démolition de la cheminée de la chaufferie en blocs de béton gironnés, la modification de l’accès Ouest et le réaménagement des abords de l’église. Le bassin extérieur, qui depuis sa résurgence sous la nef recevait l’eau de la fontaine baptismale dessinée par Pierre Székély, disparaît à son tour.
[i]Archives Historiques du Diocèse : acte notarié daté du 11 janvier 1956
[2] La semaine religieuse N°45, 25/06/1959, p.422 à 424"Nous plaçons cette paroisse sous le vocable de Saint-Jean, Apôtre et Evangéliste. […] La présente ordonnance entrera en vigueur le 28 juin 1959"
[3]Surface à double courbure dont la géométrie est générée par deux familles de lignes droites (ici les génératrices en bois formant la charpente).
[4] Descriptif des travaux, Conseil Technique Grenoblois, Mai 1979. AMMG 650W86