Le testament d’Anne de Sassenage en 1584

Archives du Château de Sassenage, B 1201-54

Parmi les archives qu’un historien est amené à étudier, il en est un type qui contient une part d’humanité, rare dans une documentation le plus souvent sèche et technique : les testaments. Comme leur nom l’indique, les actes « de la pratique » sont des documents destinés à régler des points de la vie quotidienne au moyen d’un écrit officiel, en général rédigé par un notaire. La forme que prennent ces documents évolue au cours du temps et fait l’objet d’études spécialisées qu’il n’est pas dans notre propos de présenter ici, n’étant pas spécialiste de diplomatique. Un testament, qu’il soit rédigé tôt dans la vie du testateur ou de la testatrice, ou peu avant son trépas, constitue souvent un document riche d’informations variées, même pour la connaissance des châteaux !

Les armes de la famille Beaumont et de Sassenage côte à côte © Gallica
Les armes de la famille Beaumont et de Sassenage côte à côte © Gallica

Celui d’Anne de Sassenage, veuve de Laurent de Beaumont, de son vivant seigneur de Saint-Quentin (aujourd’hui Saint-Quentin-sur-Isère, près de Tullins) a été rédigé le 2 avril 1584, dans la chambre haute de la tour de la maison forte de la Galerne, non loin de Tullins. Parce qu’il évoque la mort à venir, il exprime pour commencer des préoccupations religieuses : « se munissant du signe de la croix, disant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, elle a recommandé son âme à Dieu », voire philosophiques : « Considérant l’incertitude de la vie humaine », formules stéréotypées que complète ici une note sur l’âge avancée de la « demoiselle ». Plus concrètement sont énumérées les dispositions à prendre pour les funérailles, avec la présence souhaitée de cinquante prêtres (si on arrive à les rassembler sans trop de difficulté) et de treize filles pauvres qui seront vêtues de gros drap, pourvues d’un chapeau et de souliers. Tenant un cierge, elles accompagneront le corps à sa sépulture. Nous apprenons qu’Anne de Sassenage possède deux résidences principales, l’une à Tullins, (La Galerne), et l’autre à Saint-Quentin, probablement au château. Si elle décède en ce dernier lieu, elle souhaite être inhumée dans la chapelle que les seigneurs de Saint-Quentin possèdent dans l’église paroissiale, où repose déjà son défunt époux.

Le cœur de l’acte règle la question de l’héritage et par la diversité et le nombre des clauses nous informe de bien des relations familiales, très utiles pour préciser la généalogie et évaluer le niveau social de l’entourage : les sœurs de la testatrice sont religieuses dans les couvents féminins les plus réputés localement, Sainte-Claire à Grenoble et Montfleury à Corenc. Son frère est seigneur de Montélier (Drôme) et son neveu, baron de Sassenage et de Pont-en-Royans. Les legs particuliers évoquent des personnes dont on entend rarement parler dans les archives : un secrétaire, deux serviteurs dont l’un s’occupe principalement du fils de la dame, deux servantes dites chambrières et même un vacher. Le notaire Jean Phelippon, greffier de la châtellenie de Saint-Quentin, reçoit une attention toute particulière car c’est à lui que revient la charge d’assurer l’avenir de Gaspard de Beaumont, fils et héritier de la dame et clairement désigné comme malade mental : « aliéné de ses sens entendement (…) étant ainsi furieux et insensé ». Le notaire de Tullins semble un homme de confiance : il réside à proximité de la testatrice et connaît bien les affaires de la famille. Tout le testament vise à préserver l’avenir et le confort de Gaspard, héritier en situation délicate et la précision des dispositions prises à son égard montre l’attachement d’une mère pour un fils diminué : « la chose la plus précieuse que ladite demoiselle testatrice ait en ce monde est la personne de son dit fils ». Elle lui nomme deux tuteurs suffisamment jeunes pour l’accompagner dans le temps, en l’occurrence ses neveu et nièce, qui se partageront ses biens si Gaspard lui-même devait décéder sans enfants… Jeanne de Sassenage, épouse du sieur Ruze, recevra les terres de Tullins (dont une grange dite des Écouges) et d’autres terres et revenus autour de Romans, dans la Drôme. Antoine, baron de Sassenage est l’héritier substitué à Gaspard pour le reste des biens. Anne s’assure du versement d’une pension annuelle de 100 écus, et exige qu’on laisse son fils résider à La Galerne où il sera servi « traité, nourri et vêtu honorablement », sans qu’on change ses serviteurs si possible, ni qu’on lui « diminue sa table ». Au cas où il retrouverait son bon sens, il pourra jouir normalement de tous ses biens et toutes les dispositions contraires sont alors annulées.

Pour renforcer la valeur de l’acte, la dame de Sassenage demande qu’il soit validé par la cour du Parlement de Grenoble. Les témoins présents, nommés par leur nom et prénom, sont neuf habitants de Tullins, ainsi que deux magistrats, Guigues Calignon, docteur en droits et official de Grenoble et Ennemond Bordariat, procureur au bailliage de Grésivaudan.

Avec l’aimable autorisation de la Fondation de France, propriétaire du château de Sassenage

Le texte : Archives du château de Sassenage, B 1201-59 est à retrouver en ligne sur https://archives.chateau-de-sassenage.com