Les centrales hydroélectriques de la vallée de la Romanche

Vallée de la basse Romanche © image-et-reves.com
Vallée de la basse Romanche © image-et-reves.com

La nouvelle centrale hydroélectrique qui ouvrira à l’été 2020 à Livet-et-Gavet remplace six centrales historiques de la vallée de la Romanche. Retour sur l'histoire de ce fleuron du patrimoine industriel de l'Isère, son rôle dans le développement économique et son impact sur le paysage. L'occasion aussi de rappeler l'intérêt patrimonial de ces installations.

La nouvelle centrale de Romanche-Gavet

Prise d'eau, nouvelle centrale de Gavet © Patrimoine culturel-CD38
Prise d'eau, nouvelle centrale de Gavet © Patrimoine culturel-CD38
Prise d'eau, nouvelle centrale de Gavet © Patrimoine culturel-CD38
Prise d'eau, nouvelle centrale de Gavet © Patrimoine culturel-CD38

Pour rentabiliser les coûts de production et augmenter la production hydroélectrique, Électricité de France (EDF) a créé une unique centrale souterraine prenant la place des six anciennes. Construites sur la Romanche à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, celles-ci ont été nationalisées en 1946 et ont continué à fonctionner jusqu’au printemps 2020. De nombreux projets de rationalisation (liaison Romanche-Isère, remontée dans le bassin du Verney, etc) ont précédé celui finalement concrétisé.

Désaffectées par le nouvel équipement, les centrales de Livet, des Vernes, des Roberts, de Rioupéroux, des Clavaux et de Pierre-Eybesse sont vouées à la déconstruction pour au moins trois d’entre elles. Le destin des Vernes, protégée au titre des Monuments Historiques et restaurée ces dernières années par EDF, le Département et l’Etat, s’oriente vers une valorisation patrimoniale en lien avec les musées de la vallée. La reconversion des usines de Livet et, secondairement, de Rioupéroux fait l’objet de nombreux efforts et projets depuis plusieurs années, sans être assurée. Le lit de la rivière lui-même sera profondément remanié. Maquettes et photos des différentes installations ont été complété par la numérisation 3D des bâtiments, l’enregistrement des bruits de leur fonctionnement et la conservation de toutes les données afin de permettre la préservation de leur mémoire et leur valorisation. Le Département, la Communauté de Communes de l’Oisans, EDF, le musée de la Romanche et plusieurs associations ont conjugué leurs efforts dans ce sens. 

Centrale des Vernes, Livet-et-Gavet © Patrimoine culturel-CD38
Centrale des Vernes, Livet-et-Gavet © Patrimoine culturel-CD38
Centrale de Livet, Livet-et-Gavet © Patrimoine culturel-CD38
Centrale de Livet, Livet-et-Gavet © Patrimoine culturel-CD38
Centrale de Rioupéroux © Patrimoine culturel-CD38
Centrale de Rioupéroux © Patrimoine culturel-CD38
Centrale des Vernes, Livet-et-Gavet © Patrimoine culturel-CD38
Centrale des Vernes, Livet-et-Gavet © Patrimoine culturel-CD38

Un peu d'histoire

Le développement industriel de la région grenobloise est en partie dû à l'exploitation de la force de l'eau issue des montagnes. Très tôt, les torrents ou les lacs d'altitude sont captés et canalisés pour alimenter des centrales hydroélectriques fournissant ce qu'on a appelé « la Houille Blanche ». Plusieurs installations industrielles utilisent les possibilités énergétiques du site de Rioupéroux avant même d'y produire de l'électricité (haut-fourneau, papeterie). Mais les lieux sont d'un accès long et difficile, d'où l'idée de créer un tramway par les « Voies Ferrées du Dauphiné ». Désenclavée, la vallée de la Romanche devient, comme la plupart des vallées alpines, un secteur recherché pour l'énergie qu'elle recèle, fournissant de l'électricité à des industries électrochimiques et électrométallurgiques (carbure de calcium, ferro-alliages, fonte, silicium, aluminium, etc). En 1914, sur la commune de Livet-et-Gavet turbinent sept centrales hydroélectriques.

Quatre ans plus tard, la guerre ayant fortement stimulé les industries, les usines cherchent des solutions pour répondre à leur besoin croissant en énergie. Une nouvelle centrale, celle des Vernes, est construite et les autres sont perfectionnées. D'autres approvisionnements par des affluents proches (ruisseau de Bâton à l’amont, Lac Mort à l’aval) sont peu à peu annexés, mais c'est la construction du barrage du Chambon dans l'entre-deux-guerres qui va résoudre l'essentiel du problème.

Une première simplification de fonctionnement intervient avec la mise en place de la centrale du Péage-de-Vizille, court-circuitant et rationalisant au lendemain de la guerre les centrales de la partie basse aujourd’hui disparues (Noyer-Chut, Gavet). Au milieu des années 1980, la création de la STEP (station de transfert d’énergie par pompage) de Grand-Maison fournit un outil de production différent, un appoint permettant de s’adapter à la demande grâce à ses réserves d’eau. Romanche-Gavet est donc le nouveau chapitre d’une longue histoire dont chaque étape a marqué la vallée.

Photographie ancienne travaux centrale des Roberts, fonds privé © R.Aillaud
Photographie ancienne travaux centrale des Roberts, fonds privé © R.Aillaud
Photographie ancienne centrale des Roberts, fonds privé © R.Aillaud
Photographie ancienne centrale des Roberts, fonds privé © R.Aillaud
Gravure ancienne, vue générale des usines de Livet © Patrimoine culturel-CD38
Gravure ancienne, vue générale des usines de Livet © Patrimoine culturel-CD38
Sortie des ouvriers, usines Keller © Patrimoine culturel-CD38
Sortie des ouvriers, usines Keller © Patrimoine culturel-CD38

Une centrale hydroélectrique ? Qu'est-ce-que c'est ?

Outre le bâtiment abritant la production proprement dite, chaque centrale est constituée de deux ensembles d'éléments, situés à la périphérie de la construction et indispensables à son fonctionnement :
- à l'amont se trouvent la prise d'eau, le canal d'amenée d'eau, la chambre de mise en charge, une conduite forcée au moins et sa cheminée d'équilibre, des vannes...
- au niveau de la centrale et à l'aval prennent place le poste de transformation et le départ des lignes électriques, le canal de fuite...

A la prise d'eau, un barrage partiel détourne une partie de la Romanche en direction de l'usine. Très visible, parfois imposante (Les Clavaux), l'entrée de la prise d'eau est aussi le seul endroit où la rivière a son débit complet dans son lit. L'acheminement jusqu'à la chambre de mise en charge se fait par un canal à ciel ouvert ou une galerie fermée, le plus à l'horizontale possible afin de garder le maximum de hauteur de chute, donc de puissance. La chambre d'eau, lieu de mise en charge, est un réservoir intermédiaire à partir duquel le liquide va être précipité dans la conduite forcée pour libérer le maximum d'énergie à l'arrivée. Cette chambre sert aussi de déversoir (partiel ou total) lorsqu'un ou plusieurs groupes sont arrêtés et que les vannes sont fermées à son niveau. L'effet peut être très spectaculaire, en cascade ou en fontaine (Livet, les Vernes). La conduite descend le plus directement possible sur l'usine proprement dite et se scinde à l'arrivée en autant de diverticules qu'il y a de groupes à faire travailler. Sur son parcours, la cheminée d'équilibre assure la résistance de cette partie car elle amortit les chocs consécutifs à la fermeture des vannes d'amenées placées devant les turbines (coup de bélier).

Le bâtiment comporte plusieurs groupes de production, chacun constitué du couplage d'une turbine actionnée par l'eau avec un alternateur qui transforme le mouvement en courant électrique. Le poste de transformation complète l'installation en modifiant la tension du courant (voltage) afin de pouvoir le transporter en limitant les pertes ; il comprend diverses installations de mesure et de contrôle. Au départ, ce poste était inclus dans le bâtiment. Désormais sous haute tension, l'électricité est évacuée au moyen de fils aériens qui l'acheminait aux utilisateurs (usines) autrefois, au réseau de distribution aujourd'hui. Des pylônes métalliques, aux formes variant au fil du temps et adaptés au voltage, soutiennent les fils. Pour sa part, après avoir travaillé, l'eau est rejetée à la rivière au moyen d'un canal de fuite.

Les sept centrales

La majorité des centrales de la Romanche (Livet I, les Roberts, Rioupéroux, les Clavaux et Pierre-Eybesse) relèvent d'un modèle simple et fonctionnel. Elles consistent à l'origine en un bâtiment allongé, aux façades symétriques, couvert d'une toiture à deux pans abritant la salle des machines où les groupes (turbines) sont disposés en rang. La longueur de la salle des machines est définie par le nombre de groupes et sa hauteur (deux fois celle du groupe le plus important) est conditionnée par le fonctionnement du pont roulant lors des opérations d'installation et de maintenance. La hauteur entre la toiture et le pont roulant doit être suffisante pour qu'un homme puisse circuler aisément. De petites salles annexes (salle de téléphone, de réunion, de contrôle...), sont implantées en périphérie de la salle des machines. Elles ont remplacé les balcons ouverts préférés à l’origine. La technique, la fonctionnalité et l'économie priment généralement sur l'esthétique, ce qui n'exclut nullement, dans de nombreux cas, la régularité et le souci du détail.

Deux centrales se différencient par leur apparence. Livet II avec sa haute façade en pans de fer largement vitrée se rattache aux réalisations rationalistes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Quant à l’usine des Vernes, elle évoque une villa de plaisance par le traitement des façades et ses aménagements extérieurs paysagés (escalier monumental, jardin à la française). Le concepteur souhaitait d'ailleurs dès l'origine qu'elle soit un lieu touristique. Toutes deux se distinguent par l'importance accordée au traitement ostentatoire de leur architecture et par les matériaux « nouveaux » mis en avant (métal, ciment).

Pour en savoir plus

Creuset d’une aventure humaine rassemblant des hommes de plusieurs continents, riche d’un patrimoine industriel bien au-delà des centrales (pavillon Keller ou « maison-girafe » par exemple), cette portion de vallée peut être découverte plus largement grâce au musée de la Romanche, au musée Hydrelec et à différents ouvrages, dont « L’aventure de la Romanche – un patrimoine plein d’énergie en Oisans » (A. Cayol-Gerin, éd. Glénat, 2019).