La Côte Saint André : étude de l'Ilot Place de la Halle
Approche patrimoniale des immeubles 22 Place de la Halle
Dans la nuit du 14 au 15 juillet 2014, un immeuble situé au cœur du bourg de la Côte-Saint-André s’est effondré, sans dommage sur les personnes fort heureusement (parcelle BE 204). Le bâtiment mitoyen a été largement atteint et presqu’entièrement déconstruit par la suite, pour raisons de sécurité. Seul un fragment de la façade ouest, côté place, a été conservé pour conforter la façade de la parcelle 202. Un arrêté de péril a été émis par la commune de La Côte-Saint-André, avec demande de permis de démolir, portant sur les deux parcelles ayant conservé les maisons en élévation (parcelles 202 et 205). En préalable à cette démolition, le service du patrimoine culturel a été chargé de réaliser une approche patrimoniale de l’ensemble des bâtiments voués à la démolition. Il s’agissait d’en évaluer l’ancienneté et l’intérêt patrimonial. On s’interrogeait notamment sur l’application du plan d’alignement des façades, plan dressé en 1819, lequel prévoyait un recul de la façade sud, c’est-à-dire sur la rue de Halle (Rue Grande en 1819).
Cette étude réalisée en 2018, ne peut être que très incomplète : les deux immeubles étaient partagés en appartements et encore occupés jusqu’en 2014. L’ensemble des parois, des sols et des plafonds sont donc enduits, doublés, couverts de linoléum, moquettes, carrelages ou de papiers peints, ce qui limite fortement les observations possibles. Elle ne constitue pas un bilan patrimonial de l’ensemble et ne saurait remplacer une étude archéologique des élévations. Elle a été réalisée dans le cadre des collaborations habituelles entre services du patrimoine, sur la demande de l’Architecte des Bâtiments de France (Unité départementale de l’Architecture et du Patrimoine, UDAP), avec l’accord du SRA (Service régional de l’Archéologie, DRAC Auvergne-Rhône-Alpes). Les deux bâtiments se trouvent placés en effet dans les parties les plus anciennes de la ville médiévale, reconnus comme « immeubles d’intérêt patrimonial remarquable » dans le périmètre de l’AVAP (Aire de valorisation de l’architecture et du patrimoine), dispositif qui participe de la protection du patrimoine de La Côte-Saint-André.
Plan d’alignement de 1819, détail de l’îlot. Archives municipales 1O149. En jaune les suppressions prévues.
Les façades côté place, peu après l’effondrement, en juillet 2014. Photo D. Gonin. En rouge, la limite des maçonneries conservées en 2018
La ville de La Côte-Saint-André
La Côte-Saint-André est une ville neuve, édifiée par les Savoyards dans le dernier tiers du XIIIe siècle, qui vient prendre la suite de l’ancien château de Bocsozel, dont les vestiges s’élèvent sur la commune du Mottier. Elle présente un plan régulier avec des rues à angle droit, organisée en îlots calibrés, autour de la grande halle. Une enceinte dont le tracé peut être restitué avec fiabilité l’entoure. Cette enceinte, comme le château et de nombreux édifices encore visibles, sont édifiés en brique, d’un module bien connu en Dauphiné pour le Moyen Âge, depuis les études d’Alain de Montjoye. C’est ce même module de briques qui peut être reconnu en de nombreux points des maçonneries observées. Il est toutefois assuré que dans certains cas il s’agit de remplois.
L’une des problématiques à laquelle renvoie l’origine de la ville de La Côte, c’est celle du mode de construction des maisons, non seulement sur le plan technique mais sur celui de l’occupation de l’espace : les îlots étaient-ils découpés en parcelles réparties entre les habitants qui construisaient comme bon leur semblait ? Au contraire, existait-il un plan de lotissement ? Construisait-on d’abord le long de la rue, puis en cœur d’îlot ou l’inverse ? Les mises en œuvre étaient-elles concertées, organisées et selon quelles modalités ? Comment et à quelle périodes l’occupation a-t-elle connu une densification ? Par des surélévations ou en occupant des parcelles auparavant vides ? Toutes ces questions pourraient être abordées par l’étude archéologique des élévations puis par la fouille du sous-sol.
Plan de la ville neuve de La Côte-Saint-André au Moyen Âge. J.-P. Moyne. Fond : plan d’alignement de 1819, plan cadastral de 1832.
La démarche
L’intervention a consisté en la réalisation d’un reportage photographique le plus complet possible, intérieur et extérieur, niveau par niveau, y compris cave et combles. L’aide d’une photographe professionnelle, rémunérée par la commune de La Côte-Saint-André, a été précieuse pour certaines parties bénéficiant d’un faible éclairage naturel ou difficile à clicher. Sur les plans fournis par le service urbanisme de la commune, l’ensemble des murs et les aménagements significatifs ont été numérotés afin d’identifier les photographies et de procéder à une description de chaque structure. Au total, ont été localisés sur les plans, photographiés, numérotés et décrits :
· 19 murs
· 19 portes
· 22 fenêtres
· 6 placards et niches murales
. 3 cheminées
Organisation générale
Les bâtiments s’organisent en deux corps de logis formant un L : une aile allongée sur la rue de la Halle, et un bâtiment plus massif en retour vers le nord. Ils s’élèvent sur 4 niveaux : rez-de-chaussée, deux étages et combles. Les nombreuses transformations opérées sur les bâtiments depuis la période médiévale rendent difficile à comprendre la logique de l’organisation interne et des circulations à l’intérieur des différentes parties. Au fil du temps, on ouvre ou on obture des portes, des fenêtres, on supprime une cour pour agrandir une surface, on abat des murs, on ajoute ici ou là un escalier : c’est la tâche de l’archéologue du bâti que d’analyser et comprendre finement ces évolutions.
L’analyse in situ jointe à celle des plans permet de distinguer 4 espaces :
· Zone 1 : grand bâtiment de plan rectangulaire allongé d’un seul tenant, sans doute médiéval.
· Zone 2 : bâtiment d’habitation constitué de deux espaces (peut-être deux cellules d’habitation distinctes au départ ?), sans doute médiéval.
· Zone 3 : passage du canal ou bief, encore nettement présent sur le plan cadastral de 1832. À cette date il est déjà recouvert.
· Zone 4 : ancienne cour séparant les deux habitations 1 et 2, déjà couverte en 1832.
Organisation générale des bâtiments. DAO A. Clavier, sur fond plan Atelier Brusq et Roze architectes 2014.
Plan cadastral de 1832. Archives municipales 1G51, feuille C1. DAO A. Clavier.
Matériaux et modes de construction
Façades et murs le plus souvent enduits permettent peu d’observations sur ces points. Seuls certains murs du côté nord, celui de l’effondrement et des cours intérieures, dépourvus de crépis montrent la matière qui les constituent. Les maçonneries sont construites en deux matériaux principaux : brique et galet. Les traces de reprise, percement, comblement, surélévation, sont nombreux et ne pourront être compris que par une étude archéologique des élévations approfondie. Toutefois, cette complexité signale une certaine ancienneté et l’origine médiévale de la majorité des murs ne fait pas de doute.
Le bâtiment 1 (zone 1)
Ce bâtiment de grandes dimensions (11 mètres par 5,5) était pourvu, au centre du mur nord (M04) de grandes cheminées monumentales superposées. Une prenait place sans doute au rez-de-chaussée où un vaste renfoncement rappelle sa présence et une à l’étage. La hotte entièrement en briques est partiellement conservée et la souche en était encore visible au niveau des toitures, avant les travaux de sécurisation de 2014. Le parement des murs qu’on peut voir au niveau des combles et dans certaines lacunes des enduits côté nord, alterne des rangs de galets disposés en épi et un rang de briques placées en boutisse. Il pourrait remonter au Moyen Âge sur toute sa hauteur. L’ensemble des niveaux de planchers doivent être en place : les portes repérées sont cohérentes avec les planchers actuels. Au sous-sol, une cave s’étend sur la moitié environ de la surface totale. On y voit un placard mural rectangulaire et une petite fenêtre carrée, qui paraissent en place.
Ce bâtiment est soit contemporain de celui qui le joignait au nord (parcelle 203), soit plus ancien. Il paraît en tout cas assuré qu’ils ont un temps fonctionné ensemble, au moins à partir du XVIe siècle, qui voit un réaménagement important de ce volume. Une grande cheminée aux montants en molasse est adossée au nord et utilise l’un des conduits des cheminées précédentes. La présence de plusieurs placards (anciennes portes) suggère que des passages étaient ménagés entre les deux volumes nord et sud, de part et d’autre de M04. A l’est, côté cour, un décrochement du bâtiment nord permet l’installation d’une galerie portant sans doute un escalier. L’une des portes débouchant sur cette galerie a conservé son linteau sculpté en accolade. Enfin, une seule et même toiture couvrait ces deux volumes. La poutre faîtière, placée dans le sens nord/sud, montre que le mur pignon prenait place sur la rue de la Halle. Un mur goutterot, peut-être largement débordant, surmontait à l’ouest la façade place de la Halle et le second à l’est protégeait l’escalier et la galerie sur cour.
La face nord du mur M04 : vestiges d’une cheminée (en rouge) et de portes (en bleu). 2014, DAO A. Clavier.
Croquis évoquant la galerie sur cour. Dessin A. Clavier
Le (ou les) bâtiment(s) 2 (zone 2)
Ces deux petits espaces, rectangulaires à carrés, ne sont probablement pas contemporains, même s’ils renferment tous deux des éléments remontant au Moyen Âge : portes, fenêtres, matériaux dont la brique. En regardant le mur amont, côté nord, on devine que les phases de construction et de reprises y sont nombreuses. L’appareil de briques seules, sans galets, présent en partie basse, suggère que la maçonnerie pourrait remonter aux premières périodes de construction de la ville neuve, au XIIIe siècle.
Le mur nord du bâtiment 2. Photo et DAO A. Clavier. Sur la gauche de la photo, la portion de mur venant enjamber l’ancien canal.
Le canal ou bief (zone 3)
Un canal ou bief traversait l’îlot et l’ensemble de la ville du nord vers le sud, depuis les retenues d’eau aménagées pour former des douves à l’avant du château. Il servait à alimenter des moulins placés sur son parcours. On peut imaginer que cet espace assez étroit est longtemps resté à l’air libre et que les maisons y avaient un accès direct : deux portes ont été identifiées au rez-de-chaussée, mais des ouvertures de type latrines sont à rechercher en étage. Dans les bâtiments étudiés, le canal est recouvert et paraît l’être déjà sur les plans de 1819 et 1832. Sur le plan cadastral de 1832, on croit distinguer une petite retenue d’eau en amont des bâtiments qui ont donc dû abriter, au moins pendant un temps, un moulin.
Les problématiques autour de l’usage de ces eaux, de la façon dont le bief a été peu à peu couvert, constituent des questions intéressantes. Il est probable que des éléments en matériaux périssables ont été conservés dans les niveaux humides (bois, cuir, vannerie etc.).
Une cour et une galerie, supprimées au XVIIe siècle (zone 4)
L’arrière du bâtiment 1, où se trouvaient escalier et galerie, ouvrait sur une cour certainement à ciel ouvert jusqu’au XVIIe siècle. Le mur qui ferme cet espace côté cour, présente des dispositifs qui paraissent récents (XIXe siècle) : base alternant un rang de galets / un rang de briques, étages en pan de bois hourdés de briques. Il pourrait avoir remplacé un mur plus ancien, qui pourra être retrouvé lors d’une fouille du sous-sol. Au premier étage, plusieurs aménagements peuvent être rapportés à la période moderne, c’est-à-dire avant la Révolution française. Deux cheminées présentent sur leur hotte des décors stuqués à motifs de pilastres, chapiteaux, frises de rinceaux ou de palmettes, qu’on pourrait dater du XVIIe siècle. Plancher en marqueterie dessinant de grands carreaux, simple mais élégant et plafond à poutres et solives, caché par un lattis plâtré et décoré de moulures, renforcent cette interprétation. Une grande fenêtre munie d’un garde-corps en ferronnerie se rapporte plutôt au XVIIIe siècle.
Les stucs de la cheminée 1 : pilastres avec table, chapiteaux à feuillages et masque, entablement avec mascaron central et rinceaux issus de personnages, alternant humain et chèvre.
Les stucs de la cheminée 2 : pilastres cannelés, chapiteaux ioniques timbrés d’étoiles, tablette d’oves, entablement alternant palmettes et fleurons.
Conclusion et perspectives
L’ensemble des bâtiments observés appartient à des périodes anciennes et a connu des transformations continues que seule une sérieuse étude archéologique permettrait de comprendre. Il paraît clair que le plan d’alignement proposé en 1819 n’a pas été suivi et que le mur de façade donnant sur la rue de la Halle n’a pas été reconstruit. Cette première approche d’une partie d’îlot du cœur du bourg de La Côte-Saint-André, montre tout l’intérêt qu’il y aurait à poursuivre les investigations et devrait permettre de cibler une intervention. Les travaux de démolition vont faire disparaître plusieurs pans de l’Histoire de la ville neuve, dont une connaissance fine et précise est encore possible. D’abord par l’étude des élévations et la datation par dendrochronologie de pièces de bois choisies avec soin, puis par la fouille sédimentaire après démolition. Une étude archéologique permettrait de documenter toutes sortes de problématiques auxquelles l’analyse des textes d’archives ne fournit que peu de données : matériaux et mise en œuvre, chantier de construction, dynamique de l’occupation de l’espace et phases d’expansion ou de déprise urbaine, usages de l’eau et gestion des artifices en milieu urbain, usages des espaces de cours, gestion des déchets et des dépotoirs, présence ou non de jardins, etc.
Cette perspective pose des problèmes d’ordre économique et politique qui ne peuvent être niés. En effet dans le cadre préventif, l’archéologie est à la charge de l’aménageur. Or une opération de requalification en centre urbain est complexe à monter, sur le plan technique et financier. Le coût de l’archéologie peut rendre le projet non viable. Quelle solution dans ce cas ? Comment ne pas sacrifier notre patrimoine archéologique, notre Histoire, sans pour autant empêcher la reconstruction nécessaire d’un îlot, véritable dent creuse au centre du tissu urbain, dans une zone particulièrement sensible à côté de la halle ? Des questions certes complexes, mais qu’il est indispensable de se poser afin de procéder à des choix réfléchis et adaptés à la situation.
Interprétation des murs observés. En rose, les murs ajoutés sans doute au Moyen Âge, en violet au XIXe siècle. DAO A. Clavier.
Bibliographie
MONTJOYE (A. de) – L'architecture de briques à Grenoble et dans sa région aux XIIIe et XIVe siècles. La Pierre et l'Écrit, Grenoble, 1990, p. 50-85.
MOYNE (J.-P.). - Les bourgs fortifiés savoyards du Viennois (XIIIème-XVème siècles). Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaires du Septentrion, 1996.
Annick Clavier, archéologue, conservatrice du Patrimoine
Service du Patrimoine culturel, Direction de la Culture et du Patrimoine, Département de l’Isère.